dimanche 11 février 2018

Et Ashqelôn sera une solitude (So 2,4)

ואשקלון לשממה
we’ašqelôn lišmāmāh

Chers amis.
Un mercredi calme, sinon que le soir, il y a eu encore une fois un très bon repas. Marie des Neiges est arrivée avec une véritable cargaison de fromages, de charcuterie et de magret de canard. Ce sont les choses qu’elle mange quand ça va pas fort. Et il y avait de quoi…
En effet, elle est arrivée cet après-midi mais au contrôle de passeport, on ne lui a concédé que 15 jours de présence dans le pays. C’était ça ou retour direct par le premier avion pour Paris… Nous nous sommes retrouvés chez Catherine pour le dîner et il y avait aussi un jeune franciscain brésilien du couvent du Cénacle. Ce fut très sympa. On n’a pas prolongé car Catherine avait une grosse journée le lendemain et que Marie des Neiges en avait eu une le jour même.
Jeudi normal… Je patine un peu… Vendredi, je vais célébrer la messe à midi à l’Ecce Homo. J’avais oublié les questions horaires qui jouent en février. Vous savez que le vendredi, c’est le jour de la grande prière pour les musulmans, salat-ul-joumou’a, laquelle se fait à midi. Mais attention, pas le midi de l’heure légale, mais le midi de l’heure solaire. Ce qui fait que cette prière ne se fait jamais exactement à la même heure tout au long de l’année. À midi heure solaire, le muezzin chante l’appel à la prière. En ce moment, il chante à 11 h 53, ce qui fait que nous sommes quasiment à l’heure solaire ici à Jérusalem alors qu’à Marseille, la salat-ul-joumou’a devrait se faire à 12 h 53. Ce qui fait que la prière a lieu deux heures plus tard qu’à Jérusalem alors qu’il n’y a qu’un fuseau horaire de différence.
Tout cela pour dire que pour aller à l’Ecce Homo pour midi, la rue était assez peuplée de musulmans se rendant sur l’esplanade des Mosquées pour la fameuse salat-ul-joumou’a, en effet, depuis l’École biblique, je passe devant la gare routière où descendent les musulmans de Ramallah qui vont à la prière, et nous rentrons dans la Vieille Ville par la Porte de Damas. L’Ecce Homo se trouve à proximité immédiate de Bab al-Ghawanima (Porte des fils de Ganim), un des accès à l’esplanade. J’avais pris mes précautions, et je suis arrivé à l’heure. L’affluence n’était pas aussi importante que prévue. Messe et repas avec les amis.
En fin d’après-midi, je suis allé à côté du Collège à un vernissage. Il s’agissait d’une douzaine de toiles peintes par Nicola Saig (1863-1942), un peintre palestinien de Jérusalem. Il venait d’une famille d’iconographes et ce sera l’essentiel de sa formation. Vers la fin de sa vie, il avait sympathisé avec un homme beaucoup plus jeune que lui et lui a donné ou vendu quelques-unes de ses toiles. Ce jeune homme s’est finalement installé avec sa famille à Bethléem et il est mort pendant la Guerre de Six jours. La douzaine de toiles du maître Saig a été retrouvée il y a peu dans le grenier du fils du propriétaire. Il y avait des toiles d’inspiration religieuse, d’autre profanes voire mythologiques ou des natures mortes.
Nicola Saig, La conversion de saint Paul
Samedi matin, matinée à l’École biblique. En sortant, j’ai foncé vers le Musée Rockefeller, c’était le dernier jour d’une rétrospective sur les fouilles d’Ashqelôn. Je me posais la question de l’importance de cette expo. En fait, il n’y avait pas grand-chose. L’expo tenait dans deux salles : la Tower Hall et le vestibule du musée. La cité d’Ashqelôn (l’Ascalon des Croisés) est occupée depuis près de 6 000 ans ! Elle est devenue importante à l’âge du Bronze (1825 av. J.-C.). Et dans la Bible, c’est une cité des Philistins, là où Samson en tue trente pris d’un coup de colère : « L’esprit du Seigneur fondit sur lui, il descendit à Ashqelôn, y tua trente hommes (Jg 14,19). La pièce archéologique la plus connue d’Ashqelôn est ce joli veau en bronze accompagné de son temple en céramique.

Cette exquise statuette a été trouvée dans un petit bâtiment au pied du rempart cananéen, hors de la porte de la ville. Il était placé dans un sanctuaire en céramique cylindrique. On l’a identifié comme une représentation de Ba’al Saphon, le dieu de la tempête marine.
Le veau-taureau d’un an est fait de bronze d’étain-arsenic et a été produit en utilisant la technique de cire perdue. Une couche d’argent de 1,5 mm d’épaisseur est partiellement conservée sur la tête, les pattes et la queue et recouvrait probablement la figurine à l’origine, évoquant les images condamnées dans Is 30,22 : « Tu jugeras impur le placage de tes idoles d’argent et le revêtement de tes statues d’or... ». Vous pouvez visiter l’expo sur le site web dédié.
De retour à la maison, j’ai mangé seul. Les frères étaient à Kiryat-Yéarim, à une rencontre des religieux de Jérusalem. L’après-midi, j’ai fait un grand tour autour de Jérusalem. D’abord, je suis passé aux trois gares routières à proximité de la Porte de Damas. Elles desservent les villages palestiniens des environs. Cependant aucun ne dessert Ḥizma, où je veux aller mercredi. J’ai continué en descendant dans le lit du Cédron pour remonter vers le Mont Scopus, où se dressent les bâtiments de l’Université hébraïque de Jérusalem. On monte un escalier au milieu des oliviers, des amandiers en fleurs, quelques jeunes ont sorti des chevaux et trottinent dans l’herbe verte. Un peu de calme dans l’agitation de la ville. Les chevaux ne feraient pas envie à Don Quichotte ; même Rossinante doit être plus appétissante. De là, j’ai continué sur la crête du Mont des Oliviers. Je goûte devant le plus beau panorama du monde… (quelques jeunes désœuvrés écoutent de la funk arabe à fond… Je suis toujours surpris de voir les jeunes garçons occupés à ne rien faire, l’air de préparer un mauvais coup… peut-être pas un mauvais coup, mais rien de bien intelligent. On ne voit pas les filles faire pareil. En fait, on ne voit pas les filles.)
Dominus Flevit, vue vers le Saint-Sépulcre (et le Collège des Frères !)

Je suis descendu par la montée du Mont des Oliviers, halte à Dominus Flevit, où je prends un bon temps de silence avec un groupe de Philippins ultra recueilli. À Gethsémani, je suis retourné dans le Cédron pour descendre. Passage à la source de Gihon (celle qui alimente le mythique tunnel d’Ézéchias), au milieu du village de Silwan, je suis moyennement tranquille. Je prends à droite pour remonter la vallée de la Géhenne, puis je vais faire un tour près de la rue de Bethléem. En fait, je suis en train de lire le tome 5 des enquêtes du commissaire Michael Ohayon, dont l’intrigue tourne autour de ce quartier de Baq'a : une sombre histoire de meurtre avec quelques cadavres dans les placards des résidents du quartier, avec en plus le cadre de la deuxième Intifada (le roman a été publié en 2001). Le roman aborde un épisode douloureux du début de l’État d’Israël : le scandale des « enfants volés ». Entre 1948 et 1954, entre 3 et 5 000 enfants de Juifs nouvellement arrivés en Israël en provenance du Yémen ou d’Afrique du Nord ont été soustraits à leurs parents pour être “donnés” à des parents sans enfants, voire même livrés à des expérimentations scientifiques. Il est vrai que de tels méfaits sont arrivés dans d’autres pays et dans des circonstances analogues mais cela n’empêche pas l’histoire d’être sordide. Sinon, l’intrigue est bien menée avec des personnages épais, quelques coups de théâtre… L’auteur est une femme surnommée la “P.D. James israélienne” et le titre n’est pas usurpé.
Le soir, aux infos, on parlait du F16 israélien abattu dans le nord du pays par la Syrie. Coup dur pour Israël, c’est leur premier avion abattu depuis 1982 ! Le F16 avait attaqué des positions iraniennes en Syrie. Et ils se sont défendus mais l’avion s’est écrasé en Israël pas très loin de Nazareth. À la TV, on voyait Netanyahou qui était très en colère !
Ce dimanche, je suis allé à Abu Gosh dans la matinée. Tram puis bus : finalement, je suis arrivé avec près d’une heure d’avance : on ne sait jamais avec les transports à Jérusalem. Avec la même heure de départ, on peut avoir une heure d’avance ou cinq minutes de retard… Mystères de l’Orient.
Belle messe célébrée dans la crypte de l’église. Cette semaine, un échafaudage a été édifié dans l’abside centrale de l’abbatiale. On doit y pratiquer un diagnostic en vue de la restauration des fresques du cul-de-four. Le lieu inhabituel pour la célébration de la messe m’a donné des distractions à cause de phénomènes acoustiques : lorsque les Frères chantaient le graduel, j’avais l’impression qu’ils étaient suspendus au-dessus de ma tête.
Après la messe, il y avait le traditionnel apéritif au cours duquel j’ai fait la connaissance de Maylis, ma cousine issue d’issus-de-germains. Elle fait six mois de volontariat à Bethléem ; j’ai connu ses parents à Rome quand j’étais diacre (2005 !) et ils sont passés en Terre Sainte en mai 2016. Elle est venue avec d’autres volontaires bethléémites.
J’ai déjeuné au monastère. Repas en silence accompagné par de la musique liturgique copte. Avis aux amateurs, mais j’ai personnellement un peu de mal. Après le repas, vaisselle et café qui tient lieu de récréation. Merci aux frères !
Sinon, des amis qui avaient déjeuné à l’hôtellerie m’ont ramené en ville. Là, j’ai un peu vadrouillé à la recherche de magasin d’équipements sportifs. Le but était d’acheter la carte topographique correspondant à la randonnée que je prévois ce mercredi (la bibliothèque est fermée et je dois m’occuper autrement !). J’avais repéré un magasin rue Hillel, mais ils n’avaient pas la carte que je voulais. J’ai réussi à me connecter au WiFi d’un hôtel pour trouver d’autres échoppes. Dans le premier, ils ne vendaient pas de cartes mais le vendeur m’en a indiqué un autre qui offre cette prestation. Arrivé à l’adresse indiqué, j’ai vu une vitrine vide et une inscription “à louer”… Merci monsieur le vendeur.
Détail d'une carte topographique israélienne

Dans le troisième magasin, situé rue de Jaffa, elles ne vendaient pas de carte mais il y en avait un trois numéros plus haut qui le faisait. Et là, ce n’était pas une blague, ouf ! J’ai eu la chance de trouver la carte צפון מדבר יהודה que je cherchais. En plus, il y avait une promotion. Pour l’achat de deux cartes, je n’en payais qu’une ! Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y avait pas la deuxième qui m’aurait intéressé (מפת הרי ירושלים) qui se trouvait dans le tout premier magasin. Du coup, j’ai pris la carte du Jerusalem Trail, qui a l’avantage d’être bilingue. La plupart des autres sont en hébreu… Et les détails sont assez fouillis. Vivent les cartes françaises de l’IGN ! J’ai flâné un peu dans la rue. En ce moment, la fête de Pourim approche et cela se sent dans les magasins : cette fête est une sorte de carnaval juif, autour de l’histoire de la reine Esther. Habituellement, les enfants se déguisent en reine Esther et en Mardochée. Mais évidemment, il y a plus de choix de déguisement. On peut recycler avec efficacité ceux d’Halloween ou alors se déguiser en policier, en sumo (un déguisement gonflable !), en chevalier ou en Moïse (tables de la loi incluses). Les filles ont un choix immense de robes de princesses (dans le goût oriental tout de retenue et de bon goût) mais il y a aussi la sorcière ou l’infirmière (la version pas farouche…).
Après ça, il était bien temps de rentrer à la maison… et de se délasser.
À bientôt,      
Étienne+

Aucun commentaire: