mardi 19 avril 2016

Et on ne mangera pas du pain levé (Ex 13,3)

ולא יאכל חמץ
weloˀ yeˀael hameç

Chers amis,
Depuis la visite des synagogues hier, j’ai passé la journée à la bibliothèque. J’ai mis mes idées en place. Ça m’a épuisé mais je suis content. J’ai aussi mis en ordre la bibliographie.
Cette semaine, la fête juive de Pessa’ va commencer. Comme je vous l’ai expliqué le mois dernier, cette année est embolismique (année de 13 mois) et donc les Pâques latines ont eu un mois d’avance sur la Pâque juive… À proprement parler, Pessa’ est la conjonction de deux fêtes : la Pâque et la fête des Azymes (Lv 23,5-6). La Pâque est célébrée à la pleine lune du mois de nisan, soit le 14. On sacrifie l’agneau pascal au crépuscule de ce jour. À partir du 15 nisan, on célèbre la fête des Azymes (maççô). Auparavant, on a fait disparaître tout le pain levé (ameç) de la maison.
Originellement, la fête des azymes (maççô) marquait le début de la moisson de l’orge. On tenait à marquer la coupure d’une année nouvelle (dans l’ancien calendrier hébraïque, nisan est le premier mois de l’année, cf. Ex 12,2.18). On éliminait le vieux levain provenant de la fermentation de la pâte faite avec la farine de l’année précédente, et on repartait à neuf avec une nouvelle pâte non fermentée en attendant d’en avoir tiré un levain nouveau. Pendant sept jours, on mange du pain fait avec le nouveau grain moissonnés, sans levain, sans rien qui vienne de l’ancienne récolte, c’est un rite de renouveau. Dans le récit d’Ex 12, on expose les deux rites (agneau/maççô) successivement. Les deux fêtes se produisant à la même période, elles ont été unifiées en une seule célébration.
Aujourd’hui, dans le judaïsme, Pessa’ est l’occasion d’un énorme nettoyage de printemps : car ce n’est pas seulement la consommation qui est interdite, c’est la possession ! Il faut donc se débarrasser de tout ce qui contient (ou est susceptible de contenir) du levain (ameç). À priori, tout produit fait à partir de farine des cinq céréales : blé, orge, épeautre, seigle, avoine. On ne peut pas commencer le nettoyage plus de 30 jours avant la fête (en gros, avant Pourîm).
On essaye de tout consommer avant la fête. S’il en reste, on jette. L’interdit implique de nettoyer à fond la maison, la cuisine en premier lieu bien sûr mais on passe chaque pièce, sans oublier la voiture et le lieu de travail… Une fois le nettoyage achevé, on jette le sac de l’aspirateur même s’il n’est pas plein !
Les animaux domestiques sont aussi soumis à cette obligation : ils mangent maççah et pas ameç !
Les boissons à base de céréales sont considérées comme ameç ! Bière, whisky, sauce soja…
Pour simplifier les choses pour les maîtresses de maison, les aliments reconnus comme casher pour Pessa’, c’est-à-dire exempt de ameç, sont estampillés sur l’emballage après inspection du produit et des lieux de production par un rabbin dûment habilité.
Voici une étiquette que j’ai décollée sur une boîte de ummus.
Dans le motif en forme de chapeau, on a le nom du rabbin qui garantit la cashrout : il s’appelle Obadiah Yoseph.
Tout en bas, on voit écrit : casher pour la Pâque (כשר לפסח) et on précise qu’il n’y a que des légumineuses à consommer dans ce ummus.
Ce genre d’étiquette ou d’estampille se trouve sur beaucoup d’emballages.
Si on est “péchu”, on change la vaisselle, qui a pu être en contact avec du levain (Israël est le royaume de la vaisselle en plastique jetable ! C’est aussi pratique pour ne pas mélanger viandes et laitages).
La veille du 14 nisan, la maison est inspectée à la lumière d’une bougie qui permet de trouver le ameç dans les recoins. Cette inspection est plus symbolique que réelle mais on a l’habitude de dissimuler un certain nombre de parcelle de ameç (soigneusement enveloppés dans du papier pour éviter les miettes !) afin que les enfants s’amusent à les trouver (mais contrairement aux œufs de Pâques, on ne les mange pas !).
Le lendemain, le ameç découvert est brûlé ou mis dans les égouts. On s’en débarrasse. Et on récite quand même une prière pour se disculper de toute miette omise : « Que tout ameç, levain ou matière levée, qui se trouve en ma possession, que je n’ai pas vu ou que je n’ai pas détruit, dont je n’ai pas connaissance, soit considéré comme inexistant et sans valeur, comme la poussière de la terre. »
Enfin, on peut rentrer dans la fête. Les Samaritains vivront cela mercredi soir. Les juifs entrent dans Pessa’ vendredi soir.
Mardi, ce fut notre traditionnelle excursion du mois. Nous avons découvert plusieurs sites intéressants. Le rendez-vous matinal nous a permis d’éviter certains ralentissements : nous devions aller près de Beth Shemesh dont l’accès nord est actuellement en travaux, occasionnant d’éternels bouchons... Nous avons donc roulé vers le sud, vers Bethléem avant de bifurquer vers l’ouest.
Nous nous sommes brièvement arrêtés aux ruines de anôt pour voir quelques vestiges byzantins : église, pressoir à vin... Puis nous avons continué vers Beth Shemesh. Cette ville compte aujourd’hui plus de 100 000 habitants, c’est une véritable ville-champignon, majoritairement peuplée de juifs ultra-orthodoxes souvent immigrés de Russie. Au bout d’un quartier en construction, nous apercevons une butte : Tell Yarmouth.
C’est une ville du Bronze Ancien (vers 2300 av. J.-C.). Le site est connu depuis le ive siècle grâce à Eusèbe de Césarée. Mais on ne l’a vraiment fouillé que depuis une quarantaine d’années... Notamment des équipes françaises dont Rosemary, notre professeur, a fait partie. Le site est immense et laissé à l’abandon. Nous avons commencé par monter sur l’acropole, point culminant du site pour avoir une vue d’ensemble. De loin, jai aperçu une gazelle...
Porte du Bronze ancien
Après être redescendus, nous discernons dans un coin les restes du rempart et surtout de la porte du Bronze Ancien. Une rampe monte vers la muraille et forme une chicane pour empêcher d’éventuels assiégeants de foncer tout droit. Plus loin, le palais avec trois fonctions principales : représentation officielle, magasins pour stocker les denrées produites par les possessions de la ville, activité domestique.
Dans l’une des salles d’apparat, nous avons fait les colonnes dont il ne reste que la base.




Les étudiants-colonnes, au fond à gauche, Beth Jemal
Église Saint-Étienne de Beth Jemal
Après deux bonnes heures passées sur le site, nous avons continué pour atteindre Beth Jemal, où j’étais déjà la semaine dernière. Mais nous sommes allés du côté des Salésiens qui ont des vestiges byzantins qui rappellent la tombe de Gamaliel, Abibis son fils et Nicodème son neveu. Là aussi l’église a servi pour le film Le Tombeau. Un des Salésiens nous a accueillis et présenté le lieu. Nous avons vu la pierre portant l’inscription de saint Étienne (il faut beaucoup de foi ou de compétences épigraphiques pour y lire quelque chose). Pique-nique sur la terrasse, à l’ombre des acacias et en admirant le panorama.
Panorama depuis Beth Jemal
En redescendant, notre bus s’est arrêté pour que nous puissions voir la structure circulaire interprétée par certains comme le mausolée de saint Étienne. Sur le tiré-à-part de l’article décrivant l’inscription de saint Étienne, on avait une belle photo bien propre, bien nette : une fois sur place, on voit une fosse pleine de mauvaises herbes.
Le mausolée aujourd'hui

Le mausolée pendant les fouilles














Trois quarts d’heure de bus pour arriver à Tel Gezer(super pratique pour faire la sieste) autre haut lieu de notre journée. Le site domine toute la plaine côtière et on comprend pourquoi les hommes s’y sont installés. En temps normal, on voit la mer (mais aujourd’hui la brume de chaleur bouchait tout). Tel Aviv, Modi’in, Latroun, Har Gillo… À Gezer, comme à Tell Yarmouth, seules quelques zones ont été méthodiquement fouillées. Nous avons commencé par la porte cananéenne, très massive. Comme elle date du Bronze Moyen, elle est plus complexe que celle vue à Yarmouth. La base est en pierre, massive et solide. Au-dessus, les élévations sont formées de briques crues (elles ont tout de même partiellement cuit lors d’incendies, ce qui leur donne des couleurs variées). À côté de cette porte cananéenne, le système d’eau semblable à ce que nous avions vu à Megiddo et açor en novembre. Un puits qui donne accès à un tunnel d’une septantaine de mètres de profondeur pour atteindre le niveau de la nappe phréatique.
Plus loin, la porte de l’âge du Fer, dite salomonienne. Cette porte reprend le modèle classique que l’on connaît aussi à Megiddo et açor : une triple tenaille. Mais ici, on domine le site et on voit très bien la structure, alors qu’à Megiddo, la moitié de la porte a été détruite (pour voir ce qu’il y avait en dessous) et à açor, on est dominé par les restes. En plus, les dernières fouilles doivent remonter à peu de temps et on lit très bien les vestiges.
Porte "salomonienne" de Gezer
Ces portes sont appelées salomoniennes car en 1R 9,15 on lit : « Voici ce qui concerne la corvée que le roi Salomon leva pour construire le Temple de Yahvé, son propre palais, le Millo et le mur de Jérusalem, açor, Megiddo, Gezer ». Du coup, quand on a retrouvé des remparts monumentaux, dans les années 1960, on les a attribués aux constructions de Salomon (milieu du xe siècle av. J.-C.). Mais les analyses plus récentes (début des années 2000) basées notamment sur des datations au Carbone 14, rajeunissent ces vestiges au ixe siècle av. J.-C. et on ne se trouve plus à l’époque de Salomon… C’est une des grandes questions disputées à l’heure actuelle dans l’archéologie de la région.
Haut lieu de Gezer
Nous passons un petit moment devant un alignement de maççebot, des menhirs comme on dit chez nous. Leur datation est incertaine : bronze moyen (2 050–1 550) ou chalcolithique (ive millénaire av. J.C.).
Un dernier arrêt pour évoquer le “calendrier de Gezer”, une inscription trouvée au début du xxe siècle par le fouilleur mais hors de tout contexte archéologique : on a donc du mal à la dater précisément.
Le texte est en paléo-hébreu, une sorte de comptine pour identifier les mois de l’année et les travaux de champs :
Deux mois de récolte (sept.-oct.)
Deux mois de plantation (nov.-déc.)
Deux mois de plantation tardive (janv.-fév.)
Un mois de cueillette du lin (mars)
Un mois de récolte de l’orge (avril)
Un mois de moisson et de fête (mai)
Deux mois de taille de la vigne (juin-juil.)
Un mois de fruits d’été. Abiyahu (août)
Il était alors temps de rentrer à la maison. Je profite du trajet retour pour rédiger sur mon téléphone le début de cette chronique. Nous faisons un bref arrêt à Abu Gosh pour déposer un des étudiants qui loge à l’abbaye, quelques ralentissements et nous étions vers 17h00 à la maison.
Douche, oraison, repas, mise en place du blog et dodo.
À bientôt,
Étienne+

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